En pleine section rurale de La Prairie, à 5 kilomètres de l’autoroute 30, la rue Johanne compte une trentaine de résidences, alimentées par des puits. Depuis au moins l’an dernier, certains résidents subissent de fréquents manques d’eau, en raison vraisemblablement d’un faible niveau d’eau de la nappe phréatique, que les derniers mois secs n’ont nullement aidé. Découragés, ils déplorent le peu de proactivité de la Ville.

«On peut manquer d’eau à tout moment, alors il faut être stratégique», témoigne Pritty Julloo.

À quatre dans la maison, les matins sont assez périlleux : il faut attendre une quinzaine de minutes entre chaque douche, pas question d’utiliser les deux salles de bain en même temps. «C’est un problème quand on fait le lavage, la vaisselle, quand on a des invités. L’eau qu’on a ne suffit pas», tranche-t-elle.

Les membres de la famille boivent de l’eau embouteillée. La petite piscine hors-terre a dû être rempli au moyen d’un camion-citerne.

«Ce qu’on a, on y fait attention, mais quand on va ailleurs dans la ville, on voit d’autres qui l’utilisent abondamment, arrosent partout. C’est frustrant.»

Sa maison a été construite en 2015, il s’agirait de l’une des plus vieilles de la rue. Mme Julloo y habite depuis 2022. La première année, elle avait dû débourser quelque 2000$ pour éliminer la présence de souffre dans l’eau.

«Ce qu’on comprend, c’est qu’il y a peu d’eau [dans la nappe phréatique] vis-à-vis notre rue», soutient-elle aussi. Ce qui lui laisse croire que de forer plus profond afin que le puits atteigne le niveau plus bas de la nappe phréatique est peut-être simplement une solution à court terme. La famille hésite donc à investir des dizaines de milliers de dollars.

De plus, les très faibles précipitations estivales ont certainement contribué à accentuer le problème ces derniers mois.

Quelques maisons plus loin, Amélie Morneau en a aussi long à dire. Sa famille habite la rue Johanne depuis huit ans. Ils y ont recreusé leur puits, mais cela n’empêche pas que l’alimentation en eau soit fragile.

«On doit en être conscient. Tu ne pars pas une brassée en pleine canicule. Tu ne peux pas prendre un bain non plus, illustre-t-elle. On sent qu’il y a moins de pression.»

«En huit ans, on voit qu’il pleut de moins en moins, poursuit-elle. On avait des réservoirs d’eau de pluie, mais cette année, ils n’étaient assez pleins. Il fallait choisir : avoir un jardin ou garder la piscine? On a laissé mourir le jardin.»

Avec les grosses chaleurs, la famille s’est tournée vers la piscine, qu’il a tout même fallu faire remplir au moyen de camions-citernes, à 1000$.

François Bernard fait quant à lui partie des chanceux qui ne subissent pas ce problème. Mais il s’inquiète néanmoins de la situation.

«Ça devient : qui va creuser le plus creux», relève-t-il, après avoir remarqué de tels travaux chez quatre voisins. Il appréhende d’un effet domino, car un puits plus creux prend l’eau qui devient ainsi inaccessible au suivant. M. Bernard fait aussi valoir que seules les familles plus aisées pourront débourser pour de tels travaux.

Il déplore du même coup que la Ville ne limite pas le développement dans ce contexte, alors que chaque nouvelle construction exerce une pression sur l’approvisionnement en eau. «Chaque fois que quelqu’un arrive, quelqu’un manque d’eau», souligne-t-il. C’est un secteur sensible.»

« La Ville s’en lave les mains »

Les citoyens déplorent le peu de proactivité de la Ville de La Prairie pour trouver des solutions.

 «On me dit : «on ne s’occupe pas de ça». Pourtant, on paie des taxes… ils sont bien venus voir ma piscine, pour augmenter mon compte de taxes! La Ville doit faire quelque chose», lance Pritty Julloo.

Elle émet l’idée d’installer un immense réservoir d’eau pour desservir le secteur. «Si ça résout le problème, on est prêts à payer. Les gens sont très frustrés ici.»

« Ne pas avoir de solution n’est pas une solution. »

-Pritty Julloo

Mme Julloo adore la rue Johanne et sa tranquillité, mais il n’en demeure pas moins que selon elle, «le problème d’eau, c’est très grave».

Mme Morneau n’est pas tendre non plus envers la Ville. «La Ville s’en lave les mains. On nous dit que jamais on n’aura un aqueduc, mais nous, on a tout de même fait installer un tuyau en conséquence. On aimerait que ça arrive», indique-t-elle.

Elle relate avoir discuté de cet enjeu au maire, en faisant remarquer que la Ville investit dans une station de pompage dans le nouveau développement sur l’ancien golf. Le maire lui aurait répondu que dans ce cas précis, les promoteurs paient une partie de ces infrastructures.

«On est dans le rural, on n’est pas la priorité, ressent Mme Morneau. On s’est battu pendant huit ans au conseil municipal pour que la rue soit asphaltée!»

Étude hydrogéologique

La Ville de La Prairie confirme être bien au fait de la situation. Elle avoue avoir déjà évalué l’option d’aménager un réseau d’aqueduc, mais les défis sont énormes.

Les travaux impliqueraient notamment la traversée de l’autoroute, l’installation de surpresseurs, des travaux sous des cours d’eau et l’obtention d’autorisations environnementales et ministérielles.

«L’ensemble de ces contraintes rendrait le processus à la fois très coûteux et complexe, indique la directrice du service des communications Dominique Beaumont. La mise en place d’un réseau d’aqueduc nécessite une densité minimale de population afin de justifier les investissements importants qu’elle implique.»

La Ville compte plutôt réaliser une étude hydrogéologique, qui brossera un portrait de la situation et permettra «d’identifier les mesures à privilégier pour en assurer une gestion durable», signifie-t-elle.  

Elle sera proposée lors de l’étude budgétaire 2026 et pourrait donc être planifiée l’an prochain ou reportée plus tard.

La Ville rappelle par ailleurs que le forage de puits est encadré par le gouvernement provincial, en vertu du Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection, et que la Ville doit faire respecter ce règlement. Elle n’a pas le pouvoir de limiter la profondeur d’un forage si les conditions prévues sont respectées.

Rappelons aussi que si un moratoire avait été imposé l’an dernier pour mettre les constructions sur pause, il ne visait pas ce secteur qui n’est pas desservi par les infrastructures municipales d’égouts.

Ce secteur de La Prairie compte environ 296 logements avec installation septique.

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