Le plaisir des mots avec Kim Thúy
L’auteure d’origine vietnamienne Kim Thúy était la porte-parole de la 10e édition de la Semaine de la littérature du Roussillon qui avait lieu du 11 au 18 février. Le Reflet a profité de l’occasion pour s’entretenir avec l’écrivaine récipiendaire du prix du Gouverneur général en 2010.
1. D’où vous vient la passion des mots ?
«Cela vient du fait que je n’en possède pas beaucoup. Chaque mot est un trésor. Ça me prend énormément de temps pour en apprendre un. On peut le comprendre, mais ne pas être capable de l’utiliser immédiatement. Il peut s’écouler une vingtaine d’années entre les deux.»
2. De quelle manière le départ tragique de votre pays a-t-il influencé votre style d’écriture ?
«Je ne sais pas. J’ai commencé à écrire assez tard, à 40 ans, et je n’ai pas fait d’études littéraires. J’ai fait quelques métiers avant. Est-ce le droit qui a donné la concision et la précision? Est-ce la cuisine qui a donné la patience de lire et de relire? Est-ce la couture qui a donné la rigueur? Est-ce l’histoire de mon départ qui a donné cette profondeur? C'est probablement tout ça.»
3. Peut-on qualifier vos romans d’autofiction ?
«Sûrement. Mais je me donne énormément de liberté pour raconter l’histoire afin de faire passer le message que je désire. Puisque je ne suis pas une vraie auteure, j’ai besoin de très bien connaître l’histoire que je suis en train d’écrire. Il faut que je l’aie sentie et touchée. Pour ne pas me sentir imposteur, je n’ose pas aller plus loin de ce que je connais.»
4. Un(e) écrivain(e) qui vous inspire ?
«Impossible de vous en nommer un seul. Marguerite Duras m’a exposée à la littérature française. Tim O’Brien, un auteur américain, m’a donné une façon de penser, de faire. Yves Navarre (France), m’a enseigné le rythme. Il y a aussi Mia Couto du Mozambique, qui est d’origine portugaise.»
5. Avez-vous un rituel quand vous prenez la plume. Par exemple, heures fixes pour écrire ou vous isoler dans un endroit particulier ?
«Je n’ai pas le privilège d’avoir un rituel. J’aimerais en avoir un comme Marie Laberge qui se réveille à 4h du matin avec ses crayons à mine aiguisés sur la table. Je voyage énormément. S’il devait avoir un rituel, il serait dans les aéroports et les chambres d’hôtel. J’écris quand je peux.»
6. En raison du succès littéraire de vos œuvres, sentez-vous une obligation de vous dépasser à chaque nouvelle publication ?
«Ben non. Il y a déjà le succès. On relaxe maintenant et on fait ce qu’on aime (rires). Maintenant que j’ai remporté le prix du Gouverneur général, je peux faire n’importe quoi. On peut niaiser, car on n’a plus rien à prouver (rires). Quand j’écris, mon but est de partager ce qui est beau. Je n’essaie pas de me dépasser, mais de partager avec les lecteurs ce que je vois.»
7. Un thème que vous n’avez pas encore abordé dans vos livres, mais que vous rêvez de travailler ?
«Je ne le sais jamais. Quand je m’assois pour écrire, je pense avoir une histoire en tête. Le plus grand défi serait de me faire écrire de la science-fiction. Je ne comprends pas Star Wars. Mon mari et mon fils refusent que je regarde ce film avec eux, car je pose trop de questions. Je ne sais pas qui est le bon, qui est le méchant.»
8. Si vous aviez à initier une personne en matière de lecture, quel livre lui suggériez-vous ?
«Très facile. Je lui donnerai le livre La grande fabrique de mots [par l’auteure française Agnès de Lestrade]. C’est un livre illustré pour les enfants, mais sincèrement je crois que c’est un livre pour tous. L’histoire se passe dans un pays où il faut acheter des mots. J’ai des dizaines de copies à la maison. Et quand quelqu’un vient, je lui donne.»
9. Sur quoi vous travaillez en ce moment ?
«Il y a deux projets, mais je ne sais pas lequel je peux révéler toute de suite. J’ai collaboré, disons soutenu, Brigitte Harrison et Lise Saint-Charles qui vont publier un livre sur l’autisme. Mon fils a eu la chance d’être le bénéficiaire de leurs connaissances. Le livre (L’autisme expliqué aux non-autismes) va paraître le 31 mars. Si je ne devais que conserver un seul livre dans ma vie, ce serait celui-là.»
10. Une question qu’on ne vous a jamais posée et à laquelle vous aimeriez répondre ?
«Comment je fais pour m’endormir et me réveiller très rapidement? J’ai cette capacité. Je suis tombée par hasard en cherchant dans le dictionnaire sur le mot kief [repos absolu, au milieu du jour, chez les Orientaux, selon le Larousse]. Il exprime exactement ma capacité de m’endormir en quelques secondes.»