Faits divers

La conduite d’un procureur dans un dossier survenu à Saint-Constant dénoncée

le mercredi 30 mars 2022
Modifié à 10 h 07 min le 11 avril 2022
Par Audrey Leduc-Brodeur

aleduc-brodeur@gravitemedia.com

(Photo Pixabay)

Le procureur aux poursuites criminelles et pénales (DPCP) Me Claude Girard a fait preuve d’une «inconduite flagrante» dans le traitement de la plainte privée de Michel Gauvin, dont la fille a été victime d’un accident de la route en 2013 à Saint-Constant, a statué la Cour supérieure du Québec, le 15 mars.  

Le juge Daniel Royer a ainsi donné raison au père, qui estimait que le procureur avait agi en faveur de cinq policiers de la Régie intermunicipale Roussillon et deux conducteurs de déneigeuse impliqués dans l’enquête sur l’accident de sa fille Caroline.

M. Gauvin avait déposé un jugement sur requête contre Me Girard et le DPCP pour le prouver et sa cause a été entendue ces dernières semaines.

Pour étoffer sa décision, il s’est notamment basé sur les témoignages de trois personnes, dont le chroniqueur Claude Poirier, qui ont aperçu Me Girard, au palais de justice de Longueuil en 2019, discuter avec les avocats des policiers et des chauffeurs tout en leur assurant qu’ils n’avaient pas à s’inquiéter.

Préenquête

Me Girard a fait son entrée en scène dans le dossier Gauvin au printemps 2019, lorsqu’il a été mandaté pour assister à la préenquête, une étape obligatoire dans le traitement de la plainte privée de M. Gauvin.

Un an avant, le DPCP avait décidé de ne pas porter d’accusation criminelle contre les cinq policiers et les deux déneigeurs, d’où la raison pour laquelle le père, convaincu du contraire, s’était tourné vers une poursuite privée. Ce processus est intenté par une personne «qui n’agit pas pour le compte d’un organisme d’application de la loi ou d’un service de poursuite», d’après le Service des poursuites pénales du Canada.

Lors de la préenquête, le procureur avait interrogé M. Gauvin, de même qu’un expert en sinistre, un ingénieur, un mécanicien, les deux chauffeurs de tracteur de déneigement, deux témoins et les policiers présents sur la scène de l’accident survenu sur le rang Saint-Régis. Puis, à la surprise du juge, il avait demandé à Mme Gauvin de raconter sa version des événements, bien que celle-ci n’en ait gardé aucun souvenir.

Selon la décision du 15 mars, Me Girard a fait preuve d’un comportement «problématique» durant cette étape. Alors que son rôle était de déterminer s’il existait une preuve justifiant un mandat d’arrestation ou une sommation à comparaître contre les personnes impliquées, le procureur a plutôt réalisé de longs contre-interrogatoires auprès du père, de ses deux témoins-clés, ainsi que de sa fille. Le juge a estimé que le procureur a attaqué les témoins-clés «comme s’il était un avocat de la défense représentant les policiers et conducteurs de déneigeuses visés par la plainte», discréditant ainsi le processus de plaintes privées.

Néanmoins, l’étape de la préenquête avait finalement mené à des accusations de tentative d’entrave à la justice contre les deux chauffeurs en juin 2019.

«Il avait un parti pris pour les défendeurs dans la plainte privée et il a agi avec une partialité évidente.»

-Juge Daniel Royer

 

Arrêt des procédures

Revirement de situation quatre mois plus tard: le procureur Girard avait déposé un arrêt des procédures contre les deux accusés. Il estimait alors que la preuve contre eux était insuffisante. Dans une note justificative qu’il avait fait parvenir à son patron, il soutenait qu’il lui apparaissait «difficilement justifiable de revenir à la charge avec des infractions de nature criminelle à l’égard de citoyens […] qui travaillaient à gagner leur vie».

«Le mis-en-cause a confirmé par écrit qu’il avait un préjugé favorable aux conducteurs de tracteurs de déneigement et défavorable à Mme Gauvin, et son comportement lors de la préenquête en témoignait», a fait valoir le tribunal.

L’arrêt des procédures avait été entériné en décembre 2019. En accueillant le jugement sur requête de M. Gauvin le 15 mars dernier, le juge a cassé cette ordonnance et a remis les dossiers des deux conducteurs au rôle de la Cour du Québec, cette fois, avec un autre procureur aux poursuites criminelles et pénales.

«C'est un soulagement, a partagé Michel Gauvin au Reflet, le 30 mars. J'ai fait ce processus pour qu'il y ait une justice pour tous. Je n'ai pas de haine contre ces gens, mais je veux que justice soit faite.»

L'homme d'affaires de la région a dépensé des centaines de milliers de dollars pour défendre la cause de sa fille qu'il estime solide. 

«À la lumière d'une analyse préliminaire du jugement rendu, celui-ci soulève des questions suffisamment importantes concernant les responsabilités du DPCP et de ses procureurs au sein du système de justice criminelle pour qu'il envisage sérieusement contester la décision à la Cour d'appel du Québec», a fait savoir le DPCP au Journal le 9 avril.