Opinion

Billet d'humeur : La vieille dame qui lisait

le jeudi 22 décembre 2022
Modifié à 13 h 21 min le 21 décembre 2022
Par Hélène Gingras

hgingras@gravitemedia.com

(Photo: Depositphotos)

Finissez-vous toujours les livres que vous commencez?

Je passais dans le corridor et je l’aie vue. Calée dans son fauteuil roulant arrêté au milieu du corridor. Elle me faisait dos. Je me suis demandé ce qui se passait, puisqu’elle avait la tête penchée.

J’ai compris et souri en passant à sa hauteur. La dame était absorbée par la lecture d’un livre. Tant et si bien, qu’elle semblait avoir perdu la notion de l’espace. Elle n’était plus dans un corridor au CHSLD, mais à des milles à la ronde. Dans un autre univers, absorbée par l’histoire qui se dessinait sous ses yeux. Mot après mot. Phrase après phrase. Paragraphe après paragraphe.

J’ai tout de suite été attendrie de voir que cette dame âgée continue de chérir la lecture.

Ç’a été plus fort que moi, je me suis arrêtée pour lui parler quand je suis revenue dans le corridor. Elle a alors levé les yeux, et j’ai été frappée par son regard à la fois doux et vif. Son grand sourire.

Ses lunettes et ses traits du visage lui donnaient des airs distingués, d’une grande classe. J’ai rapidement imaginé qu’elle avait peut-être autrefois été enseignante. Sinon qu’elle avait exercé un travail intellectuel. Et qu’elle dévorait depuis toujours les bouquins dans ses temps libres.

Pendant un instant, elle m’a réconciliée avec l’endroit, avec la possibilité que des gens qui y vivent ne soient pas tous atteints de problèmes cognitifs.

Je lui ai demandé ce qu’elle lisait. Elle a alors retourné les pages en arrière jusqu’à revenir à la première. Je l’avoue, je me serais plutôt attendue à ce qu’elle me montre la page couverture.

Passant ses doigts sur la première phrase du livre, elle m’a expliqué que l’histoire parlait de curriculum vitae. C’était un des mots contenus dans la toute première phrase du bouquin.

«Lire est doux; relire est quelquefois plus doux encore.»

-Emile Faguet

J’ai alors compris qu’elle ne se rendrait sans doute pas à la fin du livre. D’autant plus, qu’elle a repris sa lecture au début du livre quand je l’ai quittée, alors qu’elle semblait avoir lu une vingtaine de pages.

Mais ici, là, j’ai compris que ça n’avait aucune importance pour elle. Elle s’occupait et passait un bon moment.

Quand je repense à cette scène, je suis autant bouleversée qu’attendrie.