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Un résident de La Prairie perd ses bières à cause d'un timbre

le mardi 22 avril 2025
Modifié à
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Marc-Antoine Fradette, propriétaire (Photo : Le Courrier du Sud – Ali Dostie)

Vendredi 4 avril, il est 18h, le BierGarden sur la rue Saint-Charles Ouest est plein. Cinq policiers entrent et se dirigent dans la section boutique du commerce. Ils y saisissent la majorité du contenu des réfrigérateurs : au moins 3000$ de canettes de bières. La raison : un petit autocollant, le timbre de droit, était apposé sur chacune d’entre elles.   

Toute bière vendue dans un bar ou un restaurant doit avoir un timbre de droit avec la mention «CSP», pour «consommation sur place». Puisque les bières qui se trouvaient dans les réfrigérateurs étaient vendues en vertu d’un permis d’épicerie, pour consommation à domicile, elles ne pouvaient contenir cet autocollant. 

«Je l’admet, j’étais dans le tort, je ne le savais pas, dit d’emblée le propriétaire Marc-Antoine Fradette, résident de La Prairie. Mais il me semble qu’il y a une manière de procéder…»

Toutes les bières ont été mises dans des boites, les policiers ont fouillé de fond en comble son bureau. Le tout a duré quatre heures. «Ç’a été la pire soirée de ma vie. J’ai été violé, exprime-t-il. Pendant que les policiers étaient là, je continuais à servir les clients. Je shakais, j’avais les yeux pleins d’eau.»

Deux semaines plus tard, les émotions commencent à retomber, mais l’incompréhension demeure. 

«Les policiers sont allés directement derrière, comme s’ils savaient ce qu’ils cherchaient. Ils m’ont dit que c’était une visite de courtoisie. Mais à cinq policiers? Je suis certain que c’est une plainte», avance-t-il.

M. Fradette aurait apprécié un peu plus d’indulgence de leur part. Il a tenté de les convaincre de recevoir plutôt un avertissement, en vain.  

«Si j’avais enlevé les collants avant de les mettre dans le frigo, ça aurait été correct», indique M. Fradette, soulignant l’ironie de la situation. Il rappelle que cette étiquette n’a aucun impact sur le prix qu’il achète ou vend la bière.

Ses frigos sont pratiquement vides. (Photo : Le Courrier du Sud - Ali Dostie)

Selon lui, le système de timbre de droit «ne fait juste pas de sens», d’autant plus qu’il sera aboli dès septembre (voir texte plus bas).

Au moment d’écrire ces lignes, le Journal n’a pas obtenu de réponses aux questions demandé au Service de police de l’agglomération de Longueuil. 

Incertitude

Marc-Antoine Fradette ignore pour l’instant s’il devra payer une amende, si son permis d’épicerie lui sera retiré ou s’il s’en sortira indemne. Son dossier a été transféré à la Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec.

En attendant, cette saisie est loin d’être sans conséquence.

Sans les profits qu’il aurait tirés de la vente des bières saisies, il ne peut renflouer ses frigos. «Ça affecte mon fonds de roulement. Et pendant ce temps-là, des clients réguliers viennent, et revirent de bord. Ça se peut que je les perde», craint le commerçant. 

Chaque fois qu’un client s’enquiert de la situation, devant les tablettes vides, et demande s’il est près de la faillite, M. Fradette ressent un pincement au cœur. 

«Je me donne tellement, je n’avais pas besoin de ça, témoigne-t-il. Je suis un passionné. Je fais tout, tout seul. Pourquoi venir me mettre dans bâtons dans les roues comme ça? Il y en a des vrais criminels, ailleurs…»

« Bâtons dans les roues »

Résident de La Prairie, Marc Antoine Fradette s’est lancé dans l’aventure à Longueuil après être «tombé en amour» avec la rue Saint-Charles. «Je suis venu quand elle était fermée, et accessible aux piétons. Je ne connaissais pas, et j’ai adoré la vibe! Mais trois ans plus tard, la balloune est en train de péter.»

Il témoigne par ailleurs de la lourdeur administrative de la Ville de Longueuil.

C’est en décembre que la boutique s’est transformée en bar en conservant une section épicerie, et ce, au terme de deux ans d’attente et démarches avant d’obtenir le permis d’alcool.

Il cite aussi en exemple les 2000$ qui lui ont d’abord été exigés par la Ville avec son permis d’alcool, car il n’avait pas suffisamment d’espaces de stationnement pour la clientèle. La majorité des commerçants de Saint-Charles n’ont pas de stationnement.

«Pour garder la business en vie, j’ai travaillé comme un fou. Je me suis battu!»

Il admet qu’en matière d’achalandage, ses journées sont faites de haut et de bas. On sent néanmoins dans son discours que sa détermination l’emportera. S’il ignore le sort qui sera réservé à sa section boutique, il assure que «le bar, il est là pour rester».

 


Abolition du timbre de droit

Québec a adopté le 10 avril le projet de loi no 85 visant à alléger le fardeau réglementaire et administratif, qui abolit le timbre de droit. Cela s’appliquera aux microbrasseries et non aux plus gros brasseurs.

Les microbrasseries ont récemment plaidé pour mettre fin au timbre de droit, qui les oblige à coller cette étiquette sur toute bière vendue dans un bar et un restaurant. Le but de cette loi, entrée en vigueur en 1971, était d’éviter la contrebande et la fraude fiscale. Une mesure maintenant jugée inutile par plusieurs. 

À ce sujet, La Presse rapportait en décembre les propos du ministre délégué à l’Économie, Christopher Skeete, qui a déposé le projet de loi : « Il y a eu beaucoup de changements dans la tarification, et l’harmonisation des prix a fait en sorte que le timbre devenait un peu archaïque.»

En novembre, l’Association des microbrasseries du Québec déplorait un «acharnement» des corps policiers à l’égard des microbrasseries. Plusieurs opérations policières ont eu lieu dans ces entreprises et chez des détaillants pour identifier des produits qui n’étaient pas marqués correctement. «Des agents de la paix sont entrés pour déceler des bières de microbrasseries sur lesquels avait été apposé un timbre de droit pour consommation sur place (CSP).

Toutefois, le directeur général de l’Association des brasseurs du Québec Philippe Roy a plaidé dans une lettre ouverte aussi publiée à La Presse que le timbre avec la mention CSP permet aux policiers et inspecteurs «d’assurer une vigie efficace auprès des établissements qui pourraient être tentés d’acheter de l’alcool par le biais de réseaux non autorisés».