La restauration locale face à une pénurie de main-d’œuvre
À lire aussi Plus de 8000 emplois en restauration à combler d’ici 2020 Cet été, la direction de la chaîne de rôtisseries Benny&Co. a sonné l’alarme sur la pénurie de main-d’œuvre qui affecte le milieu de la restauration au Québec. La pénurie d’employés, qui frappe autant les chaînes que les restaurants indépendants, est «assez importante», rapporte Yves Benny, vice-président aux relations publiques de l’entreprise qui compte près d’une cinquantaine de succursales. «C’est un peu partout, pas seulement dans certaines régions, constate M. Benny. Nous travaillons de façon proactive sur cette problématique depuis plus de 10 ans afin qu’il n’y ait pas de répercussions sur les clients.» La situation serait davantage critique derrière les fourneaux. Les commis de cuisine sont plus difficiles à trouver, tandis que les serveurs et hôtes sont nombreux à cogner aux portes des employeurs. Selon M. Benny, la rémunération est l’un des enjeux qui expliquent cette pénurie. «C’est plus facile pour un livreur d’avoir un meilleur salaire, car il reçoit des pourboires», constate le représentant de Benny&Co. Même son de cloche du côté de Jean-Michel Paquet, propriétaire du restaurant La Carcasse à Saint-Constant. «Ce n’est jamais difficile de trouver des serveurs parce que c’est un métier payant, dit-il. Les cuisiniers se demandent pourquoi ils auraient un emploi aussi exigeant, alors qu’ils peuvent travailler à un poste moins demandant dans un autre commerce pour le même salaire.» Augmenter le salaire est une solution «facile», soutient le propriétaire de La Carcasse. «Si je paye les cuisiniers 25$ de l’heure, je vais avoir une file de candidats devant mon restaurant, dit-il. Mais ça aura des répercussions sur les clients parce que je devrai augmenter le prix du menu. Est-ce que les clients sont prêts pour ça?» Un avis que partage le propriétaire du restaurant Fratello, Jean-Philippe Grenier. «Je ne veux pas être pessimiste, mais hausser les salaires veut dire hausser le menu et ce serait la faillite presque assurée», dit-il. Sentiment d'appartenance M. Paquet y voit également un reflet de la nouvelle génération de travailleurs. «Il y avait un certain sentiment de fidélité qui existait quand j’ai commencé à travailler dans la restauration à l’adolescence, mentionne-t-il. Ce sentiment n’existe plus aujourd’hui. La plupart des jeunes veulent avoir de l’argent rapidement.» Mais pour le jeune chef de La Carcasse, Christian Houle, les cuisiniers ne doivent précisément pas se tourner vers ce poste pour l’argent ou la popularité. «Ce n’est pas aussi glamour que certaines personnes pensent, dit-il. On devient chef par passion pour la cuisine avant tout.» M. Grenier constate que la relation employeur-employé a changé au cours des dernières années. «Il y avait de l'abus des employeurs auparavant. Aujourd'hui, ce sont les employés qui abusent. Certains ne se présentent pas aux entrevues ou ne donnent aucun signe de vie après avoir été engagés», explique-t-il. M. Paquet essaie de récréer l’esprit de famille qui l’avait jadis séduit lorsqu’il était dans les cuisines de la Brochetterie de Verdun. «Le restaurant est fermé les lundis et j’en profite pour organiser des sorties de groupe, explique-t-il. Nous sommes fermés aussi pendant le temps des Fêtes. Pas parce que ce n’est pas payant, mais parce que je sais que c’est plate pour les employés de travailler à ce moment-là.» M. Benny est aussi d’avis qu’un «bon climat de travail est essentiel pour garder ses employés». «Nous sommes flexibles pour permettre une bonne conciliation études, travail et famille», dit-il. Étant donné que les employés de la chaîne sont à forte majorité des étudiants, la direction veut mieux valoriser à la fois le métier et les débouchées. «On ne veut pas que nos employés ne soient que de passage, affirme-t-il. Ils peuvent passer par un cheminement au sein de notre entreprise. Les cuisiniers peuvent devenir chefs d’équipe, puis maîtres-rôtisseurs.» M. Benny souligne que l’entreprise misera davantage dans le futur sur les outils de recrutement. «Nous voulons éviter de former des gens pour finalement les perdre plus tard, explique-t-il. Quand on fait de meilleures embauches, on risque d’avoir de meilleurs résultats.»